Environnement. Veolia-Suez, les conséquences d’une fusion à eau risque

jeudi 1er octobre 2020 par franck

C’est un jour crucial pour le service public de l’eau et de l’assainissement. Alors qu’Engie compte lâcher les 29,9 % de parts qu’il détient chez Suez, l’offre de Veolia – qui a mis 2,9 milliards d’euros sur la table pour s’offrir son concurrent historique – arrive à échéance ce mercredi. Le dossier est sensible et tourne à la saga. Veolia a promis de remettre avant aujourd’hui une offre améliorée à Engie, alors que Suez, qui refuse cette fusion, a protégé sa branche eau en la plaçant sous le chapeau d’une fondation aux Pays-Bas, ce qui revient à la rendre incessible. «  Bien courageux celui qui mettrait sa main à couper sur l’issue de l’affaire  », ironise Vincent Huvelin, coordinateur CGT du groupe Veolia. Et pour cause. L’État, actionnaire à 23,6 % d’Engie, devra prendre part à la décision finale. Et si Jean Castex s’est montré plutôt favorable au rapprochement entre Veolia et Suez, estimant que «  l’opération en question fait sens  », son ministre de l’Économie, lui, s’avance plus prudemment. «  Je souhaite qu’on prenne le temps nécessaire  », a répété mardi Bruno Le Maire, assurant que «  l’État ne cédera à aucune pression. On n’est pas à une semaine, quinze jours ou trois semaines près  ».

C’est un jour crucial pour le service public de l’eau et de l’assainissement. Alors qu’Engie compte lâcher les 29,9 % de parts qu’il détient chez Suez, l’offre de Veolia – qui a mis 2,9 milliards d’euros sur la table pour s’offrir son concurrent historique – arrive à échéance ce mercredi. Le dossier est sensible et tourne à la saga. Veolia a promis de remettre avant aujourd’hui une offre améliorée à Engie, alors que Suez, qui refuse cette fusion, a protégé sa branche eau en la plaçant sous le chapeau d’une fondation aux Pays-Bas, ce qui revient à la rendre incessible. «  Bien courageux celui qui mettrait sa main à couper sur l’issue de l’affaire  », ironise Vincent Huvelin, coordinateur CGT du groupe Veolia. Et pour cause. L’État, actionnaire à 23,6 % d’Engie, devra prendre part à la décision finale. Et si Jean Castex s’est montré plutôt favorable au rapprochement entre Veolia et Suez, estimant que «  l’opération en question fait sens  », son ministre de l’Économie, lui, s’avance plus prudemment. «  Je souhaite qu’on prenne le temps nécessaire  », a répété mardi Bruno Le Maire, assurant que «  l’État ne cédera à aucune pression. On n’est pas à une semaine, quinze jours ou trois semaines près  ».

Pure opération capitalistique, cette partie de billard à trois bandes a néanmoins de réelles implications sociales, économiques, et même démocratiques. 1Vers une flambée des prix de l’eau

Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, est «  formel  ». L’OPA que son groupe prépare sur son concurrent historique Suez ne se soldera pas par une augmentation du tarif de l’eau pour les consommateurs. Antoine Frérot, qui prévoit de mettre entre les mains du fonds d’investissement Meridiam l’activité eau France de Suez, assure que ce «  partenaire (…) s’engage à ce que les Français ne paient pas leur eau plus cher  ». Rien n’est moins sûr… «  Antoine Frérot ment sur tout ce qu’il affirme  », tranche vertement Joël Josso. Secrétaire de la Coordination Eau Île-de-France (association qui rassemble communes, élus, scientifiques et collectifs citoyens), il dénonce «  une grande opération de Monopoly, qui se joue au détriment des usagers, des élus et des salariés  ». Et la simple implication de Meridiam dans le montage imaginé par Veolia en est pour lui la preuve  : «  Quand un fonds d’investissement s’intéresse à ce genre de marché, c’est qu’il y a de l’argent à se faire.  » Ce risque d’une flambée des prix est d’ailleurs corroboré par une enquête publiée en mai 2018 par l’association UFC-Que choisir. Menée sur les tarifs de l’eau en fonction du mode de gestion – régie municipale ou délégation au privé –, elle révélait «  des écarts faramineux d’une commune à une autre  ». Pour la seule région Paca, les tarifs oscillaient ainsi du simple au double entre Aubagne (1,97 euro par m3), et sa régie municipale publique, et Marseille (3,71 euros par m3), sous contrat de délégation avec Veolia. «  La régie doit couvrir ses frais de fonctionnement et ses investissements alors qu’un opérateur privé doit engranger des bénéfices, rémunérer ses actionnaires. Il doit réaliser une marge en plus  », expliquait alors Élisabeth Chesnais, autrice de l’étude.

«  Imaginez alors en cas de fusion entre Veolia et Suez… Cette nouvelle entité sera encore plus puissante pour imposer ses tarifs  », redoute Jérémie Chomette, directeur de la Fondation Danielle-Mitterrand-France Libertés. «  Dès que l’eau est déléguée, les tarifs augmentent et la prise en compte des plus précaires passe au second plan  », poursuit-il. Parfois même, les intérêts financiers des grands groupes priment sur la légalité. Ainsi, «  malgré l’interdiction depuis 2013, Veoli a a continué de couper l’eau chez les mauvais payeurs jusqu’en 2018  », rappelle Jérémie Chomette, dont la fondation milite pour la généralisation d’une tarification sociale. Certes, cette tarification différenciée existe chez les opérateurs privés, «  mais le rattrapage se fait sur les tranches supérieures et pas forcément celles des gens très riches  », explique le directeur de la Fondation Danielle-Mitterrand. «  Lorsque la pression d’un passage en régie publique fait bouger les opérateurs privés, ils baissent leurs tarifs en compensant le manque à gagner par des baisses d’investissements sur le réseau ou des suppressions d’effectifs  », renchérit Joël Josso. 2Des collectivités au pied du mur

Face aux plans de Veolia – qui n’ont jamais fait l’objet d’un débat parlementaire, comme le dénonçait récemment Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord –, les élus locaux de tous bords haussent le ton. Dans une tribune (publiée par le Point), ils s’inquiètent de voir, «  pour la première fois, un opérateur du service public de l’eau (…) exploité par un fonds d’investissement, sans aucune garantie de la notion même de service public  ». Ils dénoncent une OPA qui fausserait «  le jeu de la saine et loyale concurrence  », créatrice de «  solutions toujours plus innovantes  ».

«  La création d’un groupe privé unique risque de rendre les collectivités captives face à un géant qui va faire la pluie et le beau temps sur le secteur  », redoute pour sa part Yannick Nadesan. Adjoint communiste à la mairie de Rennes et vice-président d’Eau du bassin rennais, il fut l’artisan, en 2015, du passage à une gestion directe de l’eau par la collectivité sous la houlette d’une société publique locale (SPL). Une maîtrise publique qui permet «  de mieux gérer la ressource et de créer un système économique vertueux où les quelque 3 millions d’euros par an générés par la SPL reviennent au territoire  », explique l’élu. Pour lui, l’émergence d’une offre publique a en réalité cassé un système de «  fausse concurrence  » organisée par les opérateurs privés qui «  se sont largement entendus sur les tarifs  ». Dans un tel contexte, imaginer de surcroît que Veolia absorbe Suez reviendrait à rayer définitivement la concurrence chez les opérateurs privés dans un secteur déjà fortement concentré. «  Les élus locaux, qui n’ont pas anticipé le passage à une gestion publique – ce qui prend entre trois et quatre ans pour préparer le terrain –, vont se retrouver coincés  », analyse Yannick Nadesan.

C’est une lame de fond  : grandes métropoles ou communes rurales, la «  remunicipalisation  » de la gestion de l’eau prend inexorablement de l’ampleur. «  Au début des années 2000, 28 % de la population française était desservie par un opérateur public, aujourd’hui, c’est 40 %  », indique Régis Taisne, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). «  Avant, les grosses boîtes proposaient des solutions clés en main à des maires qui souvent avaient peur de se lancer dans une gestion en régie  », note Jérémie Chomette, (Fondation Danielle-Mitterrand-France Libertés). «  Mais, désormais, de nombreuses communes s’y sont mises et cela fonctionne  », poursuit-il. Les avantages d’une gestion publique s’appréhendent sur le long terme. «  La philosophie entre une gestion directe et une délégation diverge. Lorsqu’il s’agit d’investir sur le réseau, pour éviter une chlorisation trop importante et préserver la ressource, une boîte privée, dont le contrat de concession court sur huit ou dix ans, n’a aucun intérêt à débloquer des investissements amortissables sur quatre-vingts ans  », estime Joël Josso. Le secrétaire de la Coordination Eau Île-de-France va même plus loin. Pour lui, aucune entreprise ne devrait gérer l’eau  : «  C’est un bien commun qui doit échapper à la logique de marché et sur lequel il devrait être interdit de faire de l’argent.  » 3Des suppressions de postes par milliers

«  Tout le monde sait parfaitement ce qui se joue en termes d’emplois lorsque ce genre d’opération capitaliste aboutit  », affirme, excédé, Wilhem Guette, coordinateur CGT du groupe Suez (30 000 salariés en France). Le syndicaliste redoute entre 2 000 et 2 500 suppressions de postes «  en doublon  », dans les «  fonctions support, administratives, les ressources humaines, les services achat, les services clients…  ». Mais pas seulement. «  Y compris à l’exploitation, le bilan social peut être lourd, par exemple lorsque deux sites Veolia et Suez se retrouvent trop proches géographiquement.  » Une analyse que partage l’intersyndicale CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, CFDT du groupe et même la direction de Suez, qui estime que 10 000 postes, dont la moitié en France, pourraient être menacés par cette fusion.

Chez Suez les salariés, inquiets, se mobilisent pour sauver l’indépendance de leur entreprise. C’est le cas d’Annabelle. Rattachée au service construction des usines d’eau potable/eaux usées, elle redoute que son service disparaisse purement et simplement. «  Veolia a arrêté cette activité il y a quelques an nées, je ne vois pas pourquoi il la reprendrait tout à coup.  » De son côté, Vincent Huvelin est moins alarmiste. Coordinateur de la CGT Veolia, il admet qu’environ 300 postes risquent de se retrouver en doublon dans les sièges sociaux des deux entreprises, qui emploient 800 personnes (Veolia) et 750 personnes (Suez). Pour autant, «  nous avons exigé des garanties sur leurs reclassements. Antoine Frérot s’y est engagé, ce qui n’est d’ailleurs pas difficile à l’échelle d’un secteur dont 200 000 salariés sont concernés par cette fusion  », explique le syndicaliste. Pour Vincent Huvelin, «  il n’y a pas dans cette affaire de bons et de mauvais patrons. Un capitaliste reste un capitaliste et, pour nous, assure-t-il, le plus important, c’est que nous parvenions à obtenir un statut unique pour tous les salariés du service public de l’eau et de l’assainissement.  » C’est, conclut-il, «  la seule façon de nous protéger en cas de changement d’actionnaires, de direction ou de perte d’un marché  ».

https://www.humanite.fr/environnement-veolia-suez-les-consequences-dune-fusion-eau-risque-694274


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