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Penser un monde nouveau. L’écoféminisme face au capitalisme patriarcal, par Vandana Shiva

jeudi 4 juin 2020

Le patriarcat capitaliste en tant que vision du monde, de système de connaissance et d’organisation de l’économie a été institué au cours des derniers siècles, par le colonialisme, l’industrialisme des combustibles fossiles et la règle de la violence, de l’avidité et de la destruction de la nature et des cultures. Il suppose que la nature est une matière morte et que les femmes sont des objets passifs. Les pères fondateurs de ce système ont consciemment construit l’anthropocentrisme basé sur l’hypothèse de la supériorité des humains sur les autres espèces pour justifier la maîtrise sur la nature. Terra Madre, la Terre mère, qui vit et soutient la vie, a été transformée en matière inerte, simple matière première dédiée à l’exploitation industrielle. Francis Bacon, considéré comme le père de la science moderne, a appelé ce changement «  la naissance masculine du temps  », portée par un concept profondément patriarcal de projet de science mécaniste réductionniste.

« L’argent a été muté en «  capital  » en tant que force créatrice, pure abstraction coupée de la valeur réelle des choses et devenue construction dominante de notre époque. »

Ainsi la «  solution scientifique  » de l’agriculture chimique industrielle, basée sur un paradigme réducteur et mécanique de la science, a-t-elle contribué aux problèmes d’extinction des espèces, de disparition de l’eau, de dégradation de terres, de changement climatique et de maladies chroniques. Et elle n’a pas réussi, en revanche, à résoudre le problème initial qu’elle prétendait résoudre  : la faim. Aujourd’hui, 1 milliard de personnes ont faim. Cet appétit illimité pour les terres et les ressources de l’agriculture industrielle est, en outre, impliqué dans de nouvelles épidémies et pandémies.

Dans le paradigme du patriarcat capitaliste, l’argent a été muté en «  capital  » en tant que force créatrice, pure abstraction coupée de la valeur réelle des choses et devenue construction dominante de notre époque. La concentration des richesses accumulées par la violence et les guerres a été mystifiée. Et, avec elle, la terre créatrice a été déclarée morte. Des êtres humains et des communautés créatifs et libres ont été transformés en intrants passifs, sous l’étiquette «  travail  ». Lors du confinement barricadé induit par le coronavirus, des millions de travailleurs, en particulier les plus précaires, ont été transformés en personnes «  rejetées  ».

L’esprit mécanique construit, enfin, une «  frontière de création  » de sorte que les connaissances tirées des femmes, des peuples autochtones, du domaine public, soient rendues invisibles et que l’appropriation du savoir soit présentée comme «  innovation  » et «  invention  ». C’est courant dans le domaine de la biodiversité et des connaissances autochtones. J’ai nommé ce phénomène «  biopiraterie  », soit l’extraction du savoir et de la biodiversité à des fins de bénéfices, soutenue par les brevets et autres droits de propriété intellectuelle. Une nouvelle biopiraterie est en cours, grâce à des brevets portant sur les données de notre corps et de notre esprit, et leur exploration. Nous sommes en train de devenir la prochaine matière première. Au plus fort de la pandémie de coronavirus et au beau milieu du confinement, le 26 mars, Microsoft a ainsi obtenu de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) le brevet n° WO 2020/060606 (portant sur un système de cryptomonnaie utilisant des données d’activité corporelle – NDLR).

« Nous sommes en train de devenir la prochaine matière première. »

Face à cela, l’écoféminisme développe une vision du monde qui reconnaît que les humains font pleinement partie de la nature. Dans leur interconnexion à travers la vie, tous les êtres sont des objets vivants et autonomes, et non des objets passifs et morts, à exploiter et à violer par le pouvoir masculin. La créativité et la productivité de la biodiversité, de la nature et des femmes sont les fondements de tous les systèmes de connaissances et de toutes les économies, même si elles sont invisibles aux yeux du patriarcat capitaliste.

« Quand nous devenons conscients que nous vivons et que nous sommes interconnectés, nous sommes autonomes et nous avons le pouvoir. »

Ce qu’il faut, c’est redéfinir l’économie capitaliste patriarcale, qui traite le travail des femmes comme un non-travail, le savoir des femmes comme de l’ignorance. Nous devons nous débarrasser de la hiérarchie patriarcale capitaliste qui définit le travail réalisé avec notre corps comme inférieur. Pour la planète et l’humanité, nous devons passer de la cupidité et de l’exploitation au partage et à la bienveillance. Le travail des femmes était défini comme non-travail et non-production parce qu’il n’y avait pas d’extraction pour les bénéfices. Dans les économies de soins, les soins sont la monnaie, et la santé, le bien-être et le bonheur la finalité. Quand nous devenons conscients que nous vivons et que nous sommes interconnectés, nous sommes autonomes et nous avons le pouvoir. Nous cocréons les conditions de nos vies, de notre liberté, de notre avenir. Au milieu d’une crise, la Terre se lève, l’Humanité se lève, les Femmes se lèvent.


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